Dans une communauté ontarienne, la foresterie contribue en fait à restaurer des écosystèmes.

En marchant difficilement dans une neige atteignant la hauteur des cuisses par une journée d’un ciel étonnamment bleu à la fin de février, le seul bruit est celui du vent soufflant les pins blancs et le crissement de nos bottes perçant la neige craquante recouvrant la surface. Il est difficile d’imaginer que des herbes hautes, des papillons monarques et des engoulevents peupleront bientôt ce paysage.

Todd Farrell, responsable du patrimoine naturel pour le comté de Northumberland, ne cesse de placoter pendant que nous nous rendons à la marche jusqu’au sommet d’une des zones spéciales de gestion de la forêt. Il est évidemment attaché à cet endroit, alors qu’il explique comment son équipe contribue à reconvertir la zone de cultures en rangs d’espèces envahissantes de pins à l’ensemble très diversifié de prairies d’herbes hautes, de forêts de chênes et de savanes qui poussaient ici avant l’arrivée des Européens.

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Renforcer la biodiversité

En décembre 2022, le Canada et 195 autres nations ont signé le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal dans l’optique de conserver et de restaurer la biodiversité à l’échelle mondiale. Le protocole fixe 22 objectifs, dont l’engagement de protéger 30 % des terres et des eaux d’ici à 2030 (mieux connu comme les objectifs 30x30). Les forêts canadiennes sont essentielles à ce travail, et le comté de Northumberland est un exemple de premier plan en matière de restauration et de protection d’habitats à l’échelle locale.

La zone spéciale de gestion où Todd nous a amenés est l’une de 40 zones de la forêt du comté de Northumberland qui a été reconnue comme contribuant aux objectifs 30x30 en tant qu’AMCEZ (autre mesure efficace de conservation par zone). L’étiquette AMCEZ est une reconnaissance officielle de zones ayant d’importantes valeurs de biodiversité. Ce sont des zones où ont été mis en place de robustes garde-fous en matière de conservation pour assurer leur protection à perpétuité. Ontario Nature a dirigé les travaux d’évaluation des terres de Northumberland afin de déterminer si elles répondent aux critères pour être considérées comme des OECM, la reconnaissance étant accordée début 2022.

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Il a fallu du temps et de la perspicacité pour parvenir à la désignation d’AMCEZ. Ce sont les premiers colons, ayant confondu le sable et le gravier de la moraine d’Oak Ridges pour des terres agricoles fertiles, qui ont défriché les prairies et les savanes de chênes indigènes. En l’absence de ces espèces critiques, qui avaient été habilement maintenues par les pratiques de brûlage autochtones, la région a connu une érosion massive du sol par l’eau. Des botanistes ont recommandé la plantation de conifères, à la fois comme ressource et pour prévenir d’autres dommages.

Alors que ces plantations maintenaient le sol en place, le pin sylvestre – une espèce envahissante – a pris le dessus et l’habitat naturel a évolué. Les canopées se sont refermées, au détriment des plantes de lumière, et les insectes, les oiseaux et les animaux qui en dépendaient ont disparu.

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La foresterie à la rescousse

Chaque hiver, le comté de Northumberland éclaircit entre 50 et 100 hectares de plantations de conifères en sillons, sur un total de 2 500 hectares de forêt, et interrompt ses opérations pendant l’été pour permettre aux oiseaux de nicher et d’élever leurs petits. Si l’exploitation forestière peut sembler contraire à l’objectif de conserver la biodiversité, elle contribue en fait à restaurer les écosystèmes de la région qui sont rares à l’échelle mondiale. Bien que beaucoup de pertes aient été associées aux premières plantations, des écologistes comme Todd ont été en mesure d’identifier des espèces indicatrices restantes qui laissent entrevoir un possible retour de la terre à son état naturel.

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« Notre objectif est de régénérer la forêt naturellement biodiversifiée qui se trouve sous les plantations. Il faut plusieurs années d’éclaircissement pour atteindre le dernier stade de déboisement, explique Todd. Tous les 10 à 15 ans, selon le site, nous éclaircissons la plantation de conifères en sillons pour la faire évoluer vers une forêt naturelle en santé et diversifiée. »

Le comité de Northumberland fait partie de la Forêt modèle de l’Est de l’Ontario (FMEO), un organisme sans but lucratif qui facilite les partenariats et le partage de connaissances entre gestionnaires, propriétaires et utilisateurs de la forêt. C’est grâce à la FMEO que le comté de Northumberland a obtenu la certification du Forest Stewardship Council (FSC) en 2011 – un gage que les normes de récolte respectent des lignes directrices strictes en matière de développement durable. « Seules de bonnes pratiques forestières sont appliquées ici dans la forêt. Nous réalisons des prescriptions sylvicoles, nous avons des directives et des principes de traitement auxquels nous adhérons et qui font l’objet d'audits et nous sommes sur le terrain au quotidien pour surveiller ce qui est récolté », explique Ryan Adams, technicien en foresterie du comté de Northumberland.

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Donner un coup de pouce à la nature

La certification FSC est également liée aux zones spéciales de gestion – ou AMCEZ – de la forêt, car au moins dix pour cent des terres doivent être réservées à des fins de conservation en vertu de la norme.

Alors qu’il est courant de penser que les habitats naturels sont intacts, Todd fait valoir l’importance de gérer activement toute zone présentant une biodiversité unique afin de garantir qu’elle continue à prospérer. L’équipe est présente sur le terrain douze mois par année pour gérer les espèces envahissantes, pour procéder à des brûlages dirigés aux fins de restaurer des terres et de favoriser les espèces adaptées au feu ainsi que pour éclaircir, planter et ensemencer. Elle surveille l’évolution des écosystèmes attribuable au changement climatique et envisage des options en matière de « migration assistée », soit la plantation active d’espèces qui migrent vers le nord au fur et à mesure que les températures montent.

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Ce travail s’appuie sur des photographies aériennes du site datant de 1929 ainsi que sur des documents historiques provenant d’arpenteurs et de botanistes. C’est une ressource inhabituelle et inestimable pour le comté, qui contribue à assurer la reconstruction naturelle d’une forêt saine, de communautés de prairies d’herbes hautes et d’habitats de zones humides.

Chaque zone étant unique et réagissant différemment à la restauration, le partage de connaissances est essentiel au développement d’une approche fructueuse à la restauration des terres. En plus de collaborer avec la Forêt modèle, le comté de Northumberland travaille en étroite collaboration avec ses voisins de la Première Nation d’Alderville, qui ont très bien réussi à restaurer la savane de chênes noirs en procédant à des brûlages dirigés et en recourant à des connaissances écologiques traditionnelles. « C’est sur leur modèle que nous nous appuyons pour des exemples de restauration et la façon dont les espèces réagissent », affirme Todd.

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Une forêt prospère

En 2024, le comté de Northumberland a célébré 100 ans d’intendance de la forêt du comté. Aujourd’hui, la forêt occupe une place de choix au sein de la communauté locale, des visiteurs y venant de tout le sud-est de l’Ontario pour passer du temps à explorer son vaste réseau de sentiers forestiers et ses habitats uniques. Nombreux sont ceux qui ne se savent pas que les divers écosystèmes dont ils profitent ont été ramenés à la vie grâce à la vision à long terme du comté.

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« Restaurer un écosystème prend du temps, mais on voit les espèces évoluer dans le sous-étage et les animaux s’y déplacent. C’est très distinct, même après une coupe d’éclaircie ou un brûlage dirigé, dit Todd, en regardant le ciel comme s’il s’attendait à entendre le retour des oiseaux. Nous avons retiré le pin sylvestre et les engoulevents sont revenus. »

Ryan hoche la tête en signe d’assentiment. « J’adore être ici, dit-il. C’est ma vie. » En passant devant les empreintes fraîches de cerfs dans la neige et les jeunes pousses de chênes qui profitent de la lumière du soleil qui leur est désormais accessible, c’est facile de comprendre pourquoi.

Photography: Laura Wunderlich

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